Géométrie et mort
Et si la paix n’était qu’une guerre prolongée, mais avec d’autres moyens ? Et si la violence était surtout un état d’âme avant qu’elle ne devienne un acte agressif ? Telles sont les questions audacieuses que pose Christoph Winkler dans sa dernière création chorégraphique « Hinter den Linien » (En arrière-ligne). Winkler a choisi comme point de départ un fait historique trop souvent ignoré : Les parallèles, à l’âge baroque, entre l’art de la danse et celui de la guerre. Dès le 17ème siècle ce qui unit les deux, c’est l’amour de la géométrie et à l’évolution gracieuse des corps de combattants.
Au Centre Culturel André Malraux, qui a coproduit ce travail, Odile Seitz commence par déclamer les règles de la géométrie. Peu à peu, les six danseurs de la compagnie berlinoise de Christoph Winkler entrent sur scène et se lancent dans des figures entre l’éclatement et la retenue. Aux enchaînements rapides suivent des poses figées, comme atteint par un coup mortel. Après un récit sommaire de la bataille historique de Malplaquet, la chorégraphie se déploie et unit les danseurs dans un parcours très complexe dont les lignes spatiales s’entrecoupent sans cesse. Les guerriers chorégraphiques se heurtent et virevoltent comme des projectiles. Pour après retomber par terre.
Il y a trois reprises de ces scènes de bataille, chacune respectivement caractérisée par l’attaque, l’entremêlement furieux et l’épuisement. Pourtant, Winkler tient à ne pas illustrer ni esthétiser la guerre et ne se permet jamais d’excès réaliste. Les lignes spatiales et gestuelles sont rigoureusement menée à un but bien défini par une ligne de pensée précise. Le spectacle ne suit jamais à une simple volonté d’illustration. De sorte qu’il n’y a point d’expressionisme ou de morale mais plutôt une exploration de cette émotion malsaine qui déclenche la violence. Par son détour historique, le chorégraphe allemand, un des plus prometteur de sa génération, explore les racines d’une triste actualité: On retrouve dans les discours des forces intervenantes en Irak la même idée de « guerre symmétrique » et les mêmes phantasmes d’une action militaire « propre », ordonnée et « contrôlable ».