Entretien de Florence Corin par Anouk Llaurens

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Contextual note
Replays, variations sur les Tuning Scores de Lisa Nelson un projet de recherche d'Anouk Llaurens en dialogue avec Julien Bruneau, s’intéresse à la multiplicité des perspectives sur ce qui fait héritage pour celles et ceux qui ont été touché·es par l'œuvre de Lisa Nelson. S'appuyant aussi bien sur des conversations avec des artistes, des éducateur·ices et des chercheur·euses que sur son propre travail, Anouk Llaurens enquête sur l’héritage comme un processus de diffraction, de créolisation et de réinvention - un vecteur d'émancipation au service des vivants. La collection Sarma Replays rassemble des entretiens, tandis que d'autres contenus de la recherche peuvent être explorés sur le site d’ Oral Site

Anouk Llaurens: Bonjour Florence, merci de prendre le temps de répondre à mes questions. Est-ce que tu peux te présenter brièvement ?

 

Florence  Corin: Je m'appelle Florence Corin, je travaille à Contredanse depuis 24 ans. J'ai suivi une formation d'architecte. Pour des recherches dans le cadre de mes études j’ai été amené à fréquenter Contredanse, à rencontrer Patricia Kuypers. Un jour, Patricia m'a demandé de rejoindre l'équipe de Contredanse pour m'occuper de la publication Nouvelles de danse, une revue qui était déjà scindée en deux à l’époque : une partie plus thématique et le journal d'information. J'ai fait le suivi de Nouvelles de danse en partenariat avec Patricia pendant longtemps. Petit à petit, les publications ont pris de l'ampleur et on est passé d’une publication semestrielle à annuelle en creusant des sujets. Ensuite, on s’est ouvert à des publications d'auteur. On a travaillé sur des collaborations artistiques, sur des projets à long terme avec Steve Paxton, Anna Halprin et actuellement avec Lisa Nelson.

 

Anouk Llaurens: Tu es donc occupée depuis plusieurs années avec le travail de Lisa Nelson. Comment l'as-tu rencontrée?

 

Florence Corin: La rencontre avec Lisa remonte à près de 20 ans. Contredanse l'avait invitée pour venir donner deux ateliers de 15 jours à Bruxelles. Lisa voulait que ça soit le même groupe qui participe aux deux. C'était entre 2001 et 2002. J'avais la possibilité de suivre les ateliers qu’organisait  Contredanse et c'est là que j'ai rencontré son travail. J’ai plongé dedans, je me rappelle que ça m'avait chamboulée de manière assez impressionnante. Ces ateliers ont donné lieu à la publication Vu du corps sur laquelle Patricia et moi avons collaboré avec Lisa. On lui a demandé de travailler sur le contenu du numéro, elle a donné ses références, les textes qui l'avaient influencée, comme ceux de J.J. GIBSON. Elle a écrit également. Patricia a également écrit un texte sur son travail.

 

Parallèlement aux activités de Contredanse, j'avais aussi une activité artistique de chorégraphe. Je faisais des créations qui articulent danse et nouvelles technologies. Le visuel a toujours été un gros questionnement pour moi. Je travaillais des choses assez infimes, assez sensibles. Par exemple, comment rendre une sensation tactile en image. C’est un questionnement que j'ai mené pendant plusieurs années, nourri et influencé par le travail de Lisa. 

 

Le dernier projet qu'on a fait au sein de l’association Mutin s’appelait Absorbe - moi. C’était un duo  sur la question du noir, de l'arrivée de la pénombre, sur ce moment d’entre-deux, où on bascule dans l'obscurité. Je m’intéressais à l'imaginaire que cet univers pouvait convoquer, comme inviter des monstres. C'était le projecteur vidéo qui éclairait tout le plateau. Cela permettait  de filmer les danseur·euses, de les détourer pour qu’iels apparaissent comme des silhouettes de lumières. On jouait avec les ombres qui les suivaient ou les lumières qui les éclairaient. C’était un travail assez précis, lent et sensible, un dialogue entre un environnement lumineux et la présence physique des danseuses. Le travail de Lisa m'a beaucoup influencé pour ce projet, surtout les échauffements les yeux fermés. On travaillait dans une boîte noire. Je voulais rendre l'espace dense, visible, lui donner une matérialité ou une vraie existence sensible à travers la  lumière qui était assez ténue. Les danseurs étaient dans une écoute très fine, très proches mais sans contact. Je voulais augmenter les sensations kinesthésiques et tactiles des spectateurs à l’aide de la technologie. On parle de « kinesthésie augmentée ». Grâce aux technologies, ta limite corporelle ne s'arrête plus à la peau mais peut être projetée dans l’espace. Dans un dispositif interactif en temps réel, tu interagis avec ta propre image captée en temps réel. Par exemple celle de ta main projetée qui déforme ton visage qui est à trois mètres de toi. Et quand tu fais ça, la sensation de caresser ton visage est autant dans la main que dans la projection. C'est vraiment comme quand on travaille à deux, qu'on s'écoute sans se toucher. C'est le même type de rapport, sauf que, étonnamment, c'est avec une image. 

 

Anouk Llaurens: Ce qui est intéressant c'est de le sentir réellement au niveau tactile. 

 

Florence Corin: Oui la technologie te donne des feedback qui sont ressentis. Ce qui me permet d’enchaîner sur l'actualité de la collaboration avec Lisa dans le cadre de Contredanse. Ça fait de nombreuses années que je travaille avec Baptiste Andrien. Je l’avais rencontré dans mes études d’architecture. C’est par moi qu’il est arrivé aux stages de Lisa –– elle nous avait demandé qu’ils soient ouverts aux danseurs et à des gens qui venaient d'autres domaines, des cinéastes, des écrivains… Plus tard à Contredanse,  en observant le paysage de la danse, on a constaté que le travail de Lisa était de plus en plus présent et on s'est dit qu’il fallait publier quelque chose de conséquent. On aime participer à construire la culture de la danse, donner des références, publier les sources des pratiques. Le travail de Lisa a influencé énormément de gens qui ne sont pas toujours conscients de cet héritage et qui ne citent pas toujours leurs sources. 

 

En 2014, on a eu une  première réunion avec Lisa. On s’est vu à Venise à l’occasion du Lion d’or de la Biennale de Venise que Steve Paxton recevait pour sa carrière. On a proposé à Lisa un projet de publication qui pourrait prendre la forme d’un livre et, probablement, d'autre chose. On est vite arrivé à l'idée de créer un jeu comme une analogie du Tuning, une forme ludique qui traduirait l’essence du processus des Tuning Scores. Ça répondait à l'intérêt de Lisa pour l’apprentissage. Comment continuer à apprendre en se plaçant dans des situations qu'on ne connaît pas ? Le jeu permet de transmettre une pratique de manière vivante. Non pas  à travers des éléments figés ou qui sont de l'ordre de l'explication, mais à travers un vrai outil d'auto-apprentissage.

 

Assez vite on s’est tourné vers un logiciel  que j’utilisais déjà dans mes pièces, Isadora. Il permet, par exemple, d’agir sur des flux de vidéo ou des flux d’audio en temps réel. On peut y programmer différents dispositifs interactifs. On s’est lancé dans la création d’un jeu vidéo qui permettrait la manipulation d'une vidéo en temps réel sur les bases du Tuning Score. J’ai programmé un premier prototype et on a organisé une résidence à Bruxelles, à laquelle tu as participé d'ailleurs, avec Julien Bruneau, Claude Boillet, Andrea Keiz. Le projet de cette résidence était, d'une part, de pratiquer les scores de Lisa, les filmer pour avoir des contenus vidéo à explorer par la suite, et d’autre part, de commencer à utiliser le prototype pour voir comment jouer avec lui. Il permettait de reprendre les calls basiques du Tuning Score c'est-à-dire play, pause, reverse et de créer une boucle qu'on pouvait rejouer et dans laquelle on pouvait entrer et sortir. Je pense qu’on pouvait aussi déjà ralentir et accélérer... La question centrale était et, est toujours, de comprendre comment donner des sensations kinesthésiques au joueur quand il manipule cette vidéo en temps réel. Qu’est-ce que ça t’apprend sur la manière dont tu regardes le mouvement ? Ou comment tu suis ton intérêt ? On a passé plusieurs  résidences avec Lisa à travailler sur des détails. Par exemple, qu'est-ce qu'une boucle? Comment on la définit, comment on entre dedans, comment on en sort ? Est-ce qu'on joue sur la vitesse, l'accélération, la décélération ? 

 

Anouk Llaurens: Vous poser la question de ce qu'est une boucle, qu’est-ce que ça veut dire  en pratique ? 

 

Florence Corin: Quelle est ton action physique pour définir un point de début et un point de fin ? C’est en analogie directe avec les calls begin et end mais dans un flux qui est enregistré, qui n’est pas en live. Pour le moment, on presse la touche au moment du begin et on la relâche au moment du end. Et ça met la courte sélection vidéo en boucle dans un repeat. Mais ça pose une autre question : est-ce que ta boucle saute au début ou est-ce qu'elle fait un reverse pour revenir – ce qu'on appelle en informatique le “palindrome” et qui donne un rythme complètement différent. Et puis après on a un  peu affiné ce point d‘entrée et ce point de sortie. Au fur et à mesure du processus, on a compris que cet outil permettait de traquer ce que tu as envie de voir et à la fois d’analyser un mouvement. Par exemple ralentir un mouvement et revenir à son initiation… C’est donc très utile de cibler un mouvement le plus petit possible.

 

Anouk Llaurens: Pour étudier ?

 

Florence Corin: Oui. Voilà pourquoi c’était devenu nécessaire d’arriver à un réglage précis du in et du out de ta boucle. Ce sont des fonctionnalités qui se sont ajoutées petit à petit. Ce qui intéressait beaucoup Lisa aussi c'était de pouvoir jouer avec deux flux vidéo en parallèle. 

 

Anouk Llaurens: En même temps ?

 

Florence Corin: Oui, en les superposant ou en les mettant côte à côte.. Ça donne la possibilité soit de jouer à deux sur le même clavier, soit de jouer tout seul avec des touches. On a aussi exploré des questions comme : Est-ce que c'est plus simple de jouer avec des touches au clavier ou de jouer au trackpad ? Est-ce que ton play et ton reverse te donnent plus de retour kinesthésique si tu le joues au doigt sur le trackpad ou aux touches ? Aujourd’hui, notre prototype est assez défini et assez clair. Lisa est assez contente d'où on en est. La grosse question qui se pose, c'est comment le traduire vers quelque chose qui soit plus facilement distribuable d’un point de vue informatique. On a déjà travaillé avec deux programmeurs différents et autant de technologies différentes. Chacun traduisant le prototype vers autre chose parce que entre ce qu’ils saisissent des fonctionnalités, leur manière de les traduire et les limites technologiques, on n’arrive pas aux mêmes résultats. À suivre donc.

 

On s’est aussi engagé dans la création d’un deuxième jeu pour intégrer la dimension du dialogue, qui est évidemment très importante dans le Tuning Score. Celui-ci se jouerait en RÉSEAU, dans un environnement tridimensionnel. Tu y joues sur un plateau avec des objets virtuels mis à ta disposition.

 

Anouk Llaurens: Ça amène la question des affordances, des invites. Qu’est-ce que permet tel type d'objet, et pour qui?

 

Florence Corin : Dans ce monde virtuel, il y a une simulation de la physique. Ces objets peuvent répondre à la gravité, au poids, aux rebonds, aux frottements. On a travaillé  pour que, par leur mouvement, les objets génèrent le plus de réponses kinesthésiques possibles pour l'utilisateur.

 

Anouk Llaurens: Donc par exemple, si je déplace cet objet, ça frotte et je perçois cette sensation de frottement comme si j'avais à faire avec le vrai objet ?

 

Florence Corin: On essaye de rendre visuellement cette sensation de frottement. Mine de rien, le rapport à l’interface de l’ordinateur, via la souris, le clavier, le trackpad, est aussi très important.

 

Ce jeu [1] fait une vraie analogie avec le score GO qui se joue à deux avec des objets assis à une table. Comme dans les stages, ça demande de s'échauffer avec l'objet, de l’explorer, de voir ce qu'il peut produire. Donc pour le moment, on est au stade de conception d'une pièce d’échauffement, de Tuning de l’objet. Des objets basiques arrivent sur ta zone d'ajustement, tu peux les prendre, les explorer. Tu peux aussi changer tous les paramètres physiques, l'échelle, le poids, la position du centre de gravité. Parce qu'une fois que tu es dans l'univers virtuel, tu peux aller au-delà des possibilités physiques. Par exemple ne plus avoir de gravité, avoir une gravité qui n’attire plus vers le bas mais est orientée vers la gauche, ou vers la droite…

 

Tous les paramètres qu'on met en place dans ce jeu ramènent à des notions que Lisa a explorées dans le Tuning Score. Et c'est génial de se rendre compte qu’il y a une telle analogie entre l'univers 3D et ses questionnements. Comme le rapport entre le fond et la forme, qui bouge quoi… Est-ce qu’on manipule la caméra virtuelle? Ou est-ce l’espace qui est en mouvement? Plus on affine les choix de ces deux jeux, plus on réduit, plus on se rend compte qu’on s’approche de l'essence des questions qui l'interpellent depuis toujours. C'est super beau à voir. Quand elle explore les jeux, elle a une vision très précise et très claire de ce qui est pertinent. 

 

Anouk Llaurens: L’interactivité et la réalité virtuelle, je n'y connais rien et je dois dire que je suis même un peu méfiante. Ça pose quand même des questions éthiques. Comment un espace virtuel agit-il sur l’humain ?  Comment ces nouvelles technologies nous façonnent-elles, nous transforment-elles ? Comment peuvent-elles nous « empuissancer » et nous priver de certaines capacités ? Le travail de Lisa s’est développé depuis le début dans une interaction avec un outil technique, d’abord avec la caméra, puis la machine pour faire du montage. Elle a toujours réussi à les mettre au service du vivant, c'est-à-dire à les utiliser comme outils de feedback pour renvoyer le joueur à sa physicalité. Cela semble aussi être le cas du jeu que vous êtes en train de développer. La crainte avec les nouvelles technologies et la réalité virtuelle s'est qu'elles soient utilisées pour diminuer les gens, les manipuler, capter leur attention et qu'ils soient de moins en moins conscient. Alors que la question est quand même d'utiliser la virtualité pour de plus en plus de conscience.

 

Florence Corin: Tout à fait. Pour les rendre acteur de leur apprentissage. Je veux aussi préciser que dans ces jeux n'y a pas de règles données.

 

Anouk Llaurens: Tu veux dire que les joueurs inventent les règles eux-mêmes ?

 

Florence Corin: Oui ils suivent leur propre désir ou inventent les règles avec l'autre parce que l'idée du réseau, c'est qu'il y ait des duos qui se forment à distance et puissent inventer leur jeu. “On fait quoi maintenant ensemble de ces objets-là ?”

 

Anouk Llaurens: Elle a confiance que les gens sont capables d’apprendre, ce qu’ils ont besoin d’apprendre, comment ils ont besoin de l’apprendre. C’est vraiment étonnant, utopique aussi.

 

Florence Corin: Oui. Un principe essentiel de son travail c'est de ne rien imposer et de ne pas donner trop d'explications. L'idée c'est qu'il n'y ait pas de règles, mais éventuellement des enregistrements de partie de jeu pour susciter le désir, la curiosité qui te permette d’apprendre en regardant d'autres jouer.

 

Anouk Llaurens:...par mimétisme.

 

Florence Corin: C’est passionnant de se rendre compte de la diversité des perceptions, des  filtres de chacun.. De réaliser qu'on est constitués de nos propres filtres et d’essayer de s'ouvrir aux filtres des autres. Ou d’être confronté à quelqu'un qui n'a pas du tout les mêmes filtres que toi et voir comment ça peut te heurter parfois. Comment faire avec ? Qu’est-ce que tu en fais ? Le rôle des sens est tellement mis en évidence dans ce processus. Moi je sais que je suis visuelle, je ne suis pas auditive. Lisa, elle, est auditive, beaucoup plus que visuelle. Alors, à des moments, j'essaye de me projeter dans ce que ça pourrait être d’appréhender le monde avec une capacité auditive différente (rire).

 

Anouk Llaurens: Pas besoin de se mettre dans la peau d’une mouche. Juste un autre humain et on est projeté dans une manière de percevoir et de construire le monde tout à fait unique.

 

Florence Corin: Oui et avec des outils qui sont quand même simples comme ceux qu’elle a mis en place dans les Tuning, et qui révèlent une grande complexité de lecture. Ça a un côté magique d'avoir accès à autant de grilles de lecture et d'informations qui te nourrissent avec une seule pratique. Pour moi c'est la beauté de ce travail.

 

Anouk Llaurens: Et comment te sens-tu dans ce processus de création ?

 

Florence Corin: Inévitablement, quand on crée quelque chose, on ne sait pas où on va. Et là, on est dans le cadre de Contredanse qui est une maison d'édition pour laquelle Baptiste et moi travaillons. Parfois ça nous met en porte à faux, dans le sens où je dois être au service de, lâcher le désir personnel pour mettre en avant le travail de quelqu’un d’autre dans la compréhension la plus juste de celui-ci. Et garder le point de vue d’éditrice, donner suffisamment d’informations pour rendre le travail compréhensible. J’aimerais que ça touche le plus grand nombre. Que des gens qui ne connaissent pas la pratique de Lisa ne soient pas complètement perdus devant des choses qu’ils ne comprennent pas. Après ça ne veut pas dire qu'ils peuvent saisir toute la pratique du Tuning Score grâce aux jeux. Mais il faut qu'ils puissent rentrer dedans, que ça les interpelle et que ça leur serve. On doit être au service de Lisa, être à son écoute et à certains moments, il faut pousser un peu pour que ça rentre dans le cadre. Cette question d'accessibilité à un public qui ne connaîtrait pas son travail est une question que j'ai clairement envie de porter. 



Anouk Llaurens: Oui. Il y a tellement de couches d’expérience à transmettre et sans être didactique, sans fournir une méthode clé en main, sans infantiliser les potentiels receveurs. Et c’est vrai que les textes de Lisa sont très denses, ils donnent des informations, parfois aussi c’est poétique. La pratique en elle-même est simple et elle est aussi sophistiquée. C'est un peu paradoxal mais je pense que la simplicité en général c'est du haut niveau. Je me demande comment Lisa va s’en sortir, quelle stratégie elle va mettre en place pour à la fois rester fidèle à elle-même et au travail et communiquer au plus large.

 

Est-ce que tu as un désir de création hors du cadre de Contredanse ?

 

Florence Corin: Je suis curieuse de savoir comment les choses percoleront plus tard. Pour l'instant, ce type de projet demande un tel investissement intellectuel que j'ai fait un gros break de Mutin et d'ailleurs je vais clore l'association. Finalement, mon envie de création, d'investissement se met dans des projets comme celui-là, complètement et totalement. Et grâce à ce projet, je me suis replongée dans des pratiques de tuning. On a toujours trouvé ça très intéressant de pratiquer en même temps qu'éditer.

 

Anouk Llaurens: Vous faites des petites résidences dans lesquelles vous pratiquez ?

 

Florence Corin: Au début du projet, il y avait encore de temps en temps des rencontres de Tuning band, j'ai donc rejoint ces moments de pratique. Maintenant c'est plus rare. Depuis le confinement, il y a eu le Tuning zoom.

 

Anouk Llaurens: Ah oui maintenant il y a le Tuning zoom ! 

 

Florence Corin : J'adore ! J'ai pratiqué un peu au début mais l’horaire est difficile pour moi.  Ils continuent à pratiquer depuis lors, c'est énorme ! Il y a  pas mal de personnes des Etats-Unis, d’Amérique Latine, d'Israël. Apparemment, la pratique évolue, ils utilisent beaucoup le langage, maintenant, la voix. Ils tunent la sonorité des mots, font des jeux de mots,... Baptiste m’a dit qu’ils faisaient des tunings avec Claude Boillet et Franck Beaubois sur Whatsapp maintenant. Il y a plein de nouvelles formes qui se développent, je trouve ça excellent.

 

Anouk Llaurens: Le langage c'est aussi tout un monde…

 

Florence Corin : Oui et la traduction. Comment on passe d’une langue à l’autre, comment on interprète? C'est aussi un aspect important des Tuning. Pour le jeu 3D, on traduit une réalité vers une virtualité. Dans cette traduction, Lisa sait ce qu'elle veut, ce qu'elle veut chercher, mais parfois, elle n’arrive pas à changer les paramètres technologiques elle-même. Je le fais, et j'ai tendance à aller trop vite pour Lisa. Je comprends l'outil informatique, je veux y aller directement. Lisa a un côté plus rationnel. Elle est ultra précise. Pour avancer, elle ne change qu’un paramètre à la fois parce que si on en modifie deux, comment savoir lequel des deux a une influence ?

 

Anouk Llaurens: oui c'est comme dans le single image score, tu fais une action à la fois, c'est vraiment cellulaire, « developmental » comme le dit Lisa, un coup par un coup, c'est systématique, scientifique.

 

Florence Corin : C'est super instructif. Comme je le disais tout à l'heure, elle a une manière de percevoir le monde qui lui est propre, qui est très singulière. Elle peut encore parfois me prendre au dépourvu. Même si je commence un peu à la comprendre.

 

Anouk Llaurens: Elle a tellement travaillé à questionner ses habitudes, ses schémas de perception !

 

Florence Corin : Et elle en joue et ça voyage. Nous, on découvre à peine comment on perçoit et elle, elle en joue depuis longtemps. C'est à chaque fois un beau miroir !

 

Anouk Llaurens: Tu veux dire un feedback…

 

Florence Corin: … un feedback.

 

Anouk Llaurens: C'est quand même essentiel dans cette pratique non ? 

 

Florence Corin: Ce qui est génial c'est que tu te dis toujours, à un moment « Ah j'ai compris l'essence, c'est ce prisme-là » et puis en fait  « ah mais non c'est celui-là » . C’est ce qui est difficile à rendre dans une traduction.

 

Anouk Llaurens: Oui c’est insaisissable. Ça doit être des entrées multiples.



 

[1] Malheureusement à ce jour, ce deuxième jeu ne verra probablement pas le jour, pour des raisons technologiques et budgétaires.