Rosas Early Works 1982-87 (Fr.)

Kaaitheater bulletin Jun 2010French
Kaaitheater programme de la saison 2010-2011

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Les première œuvres de jeunes artistes qui se révèlent plus tard de «grand auteurs » ont tendance à fasciner, parce qu’elles contiennent la genèse de l’univers mental, de la thématique et du langae formel qui se déploient et s’approfonidssent ensuite dans les œuvres ultérieurs. Avec le project Early Works, la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaekers présente quatre spectacles de l’époque 1982-1987 : Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich (1987). Elena’s Aria est repris pour la première fois depuis sa création ; les trois autres chorégraphies appartiennent depuis longtemps au répertoire de Rosas et ont connu des éditions diverses, avec (souvent) de plus jeunes distributions.

  

Le langage de son propre corps

Anne Teresa De Keersmaeker a entame sa carrière très jeune: elle avait à peine vingt ans lors de la création de sa première production, Asch, en 1980. Deux ans plus tard, après un séjour a New York, elle crée Fase, un - spectacle phare dans le paysage de la danse flamande, qui traverse rapidement les frontières. Le premier défi d'un jeune chorégraphe qui construit une œuvre est de développer son propre langage, et cela vaut d'autant plus pour les chorégraphes qui ne partent pas d'un vocabulaire gestuel existant, comme celui du ballet classique, par exemple. II semble donc évident qu'ils vont en premier lieu puiser ce vocabulaire gestuel personnel dans leur propre corps. Les caractéristiques déterminantes des premières œuvres d'Anne Teresa De Keersmaeker (1980-1987) résident dans le fait qu'elle est toujours présenté sur scène, que les mouvements proviennent de son corps, et que c'est par le biais de ce dernier qu'elle transmet la forme, l'énergie et la force de conviction de sa danse aux corps des autres danseurs avec lesquels elle partage la scène.

 

Personnages

L'un des fils rouges qui relient les Early Works est celui d'une féminité marquée. Dans cette première période, sur scène, les « autres « sont presque exclusivement des femmes. Il faut attendre le duo Mikrokosmos pour voir apparaître pour la première œuvres, le nombre de performeurs est par ailleurs limité : jamais plus de cinq danseuses. La féminité, le corps féminin, les émotions féminines contribuent à déterminer la couleur du spectacle sans pour autant référer explicitement au féminisme du moment. Tout en pudeur, la métamorphose subtile de la jeune fille à la femme irradie des corps : de leur intériorité émotionnelle à leur expressivité visible. Les zones d’ombre entre la jeune fille et la femme font partie intégrante de la chorégraphie. Ce lien paraît si incontournable, que lors de reprises de Fase, Rosas danst Rosas et Bartok/Mikrokosmos, Anne Teresa De Keersmaeker a le plus souvent opté pour une nouvelle distribution, plus jeune mais la plupart du temps, elle a toutefois continué à danser elle- même : le vocabulaire gestuel lui semble sans doute tellement inscrit dans son corps qu’il faut impérativement qu’elle soit présente dans ces spectacles.

Dans Les Early Works apparaissent des image qui réfèrent à cette mutation hésitante de jeune fille en femme, des images qui se traduisent par des oscillations entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Les corps abstraits disciplinés des deux femmes de Fase (à la création : Anne Teresa De Keersmaekers et Michèle Anne De Mey) cèdent la place dans Rosas danst Rosas à une témérité juvénile qui s’abandonne sans contrôle au rythme de la musique et à l’énergie de la danse. Le troisième mouvement de cette chorégraphie est cependant construit autour d’une série de brefs solos, dans lesquels les quatre danseuses dénudent, chacune à son tour, leurs épaules. Comme si la femme, condamnée au jeu de la séduction, endosse pour la première fois son rôle à ce moment. Néanmoins, cela demeure un « exercice d’influence « L’homme est (encore) absent. Les jeunes filles sont comme devant le miroir : elle se séduisent elles-mêmes, elles s’entrainent pour plus tard. Elena’s Aria, créé un an plus tard, porte à la scène des jeunes femmes qui ont vécu leur premier chagrin d’amour. Du moins, c’est l’impression qu’elles donnent. Elle jouent toujours des jeux puérils : elles maintiennent leur équilibre en courant sur un cercle tracé à la craie, elles se poursuivent sure une rangée de chaises. Mais elles portent des robes moulantes et de hauts talons: les attributs de la femme qui entravent leurs jeux. L'atmosphère générale du spectacle est dominée par le désir de l'autre. La douleur de l'absence de l' être aime s'exprime de maniére explicite dans un texte de Toistoi:, le sur scène. Plus tard, dans la chorégraphie sur le Quatuora cordes n° 4 du compositeur hongrois Bela Bartok - créée a l'origine en 1986 comme composante principale du spectacle Bartok/ Aantekeningen -, les petites jeunes filles téméraires sont a nouveau au rendez-vous: elles se fichent pas mal de la séduction, elles dansent sans gène, chaussées de leurs bottines, et montrent effrontément leurs culottes blanches. II faut attendre la fin du spectacle pour les voir s'apaiser et a nouveau se parer de leurs attributs féminins. Dans Mikrokosmos, op. voit apparaître le premier homme. L'attirance opéré, mais elle n'est ni romantique, ni spécifiquement tendre. On se bouscule, on s'agrippe, c'est ludique et oppressant. L'image récurrente de l'étreinte centrale est à la fois intense et dure.

 

Le chemin parcouru, partie I: Fase et Rosas danst Rosas

Le chemin qu'Anne Teresa De Keersmaeker a parcouru au cours de cette première période en matière de vocabulaire gestuel s'est effectue pas a pas et de maniéré réfléchie. La simplicité, la régularité de la répétition de Fase se relâchent quelque peu dans Rosas danst Rosas. S'il y a plus de diversité, l'économie de moyen subsiste toutefois. De Keersmaeker définît des paramètres limpides sur lesquels elle souhaite construire le spectacle: elle conjugue mouvement, musique, lumière, structure dramatique, etc. de façon intelligente et contrôlée. Tant par le matériau des pas, l'exécution d'ensemble des danseuses et la structuration en « chapitres ", Rosas danst Rosas est plus aventureux que Fase: de l'unisson (ou de son déphasage) elle passe aune plus grande complexité de la composition et une individualisation tangible des performeurs. Outre les mouvements abstraits, Rosas danst Rosas présente également des gestes que l'on pourrait qualifier de « quotidiens ", « réalistes ", ou plutôt de porteurs de significations concrètes: une main qui passe dans les cheveux, les jambes qui se croisent en s'asseyant, des bras qui glissent e long du corps... Dans l'œuvre de De Keersmaeker, la danse et la musique se témoignent un immense respect mutuel: on dirait que les deux disciplines s' écoutent avec attention, engagent en permanence le dialogue tout en se permettant par moments d'emprunter chacune sa propre voie. Dans Fase et dans Rosas danst Rosas, musique et mouvements unissent leurs forces complices. La répétitivité de Fase, le rythme et le dynamisme de Rosas danst Rosas, soutenus respectivement par la composition minimaliste de Steve Reich et celle de Thierry De Mey et Peter Vermeersch, entrainent le spectateur et confirment la réputation internationale de De Keersmaeker comme chorégraphe de grand talent.

 

Le chemin parcouru, partie II: Elena's Aria et les choregraphies Bartok

Apres le succès de Rosas danst Rosas, Anne Teresa De Keersmaeker a pourtant immédiatement ressenti le besoin d'aller a contre-courant de sa réussite et de résister à la tentation de répéter ses propres acquis. A plusieurs égards, Elena's Aria, créé en 1984, est un spectacle crucial dans son parcours et c'est précisément pour cette raison qu'il est si difficile à intégrer au répertoire. Le spectacle est le fruit d'une créatrice qui, si jeune soit-elle, remet en question son oeuvre et sa personne et sait pertinemment qu'il incombe aux grands artistes de réitérer cette démarche à chaque fois, si pénible soit-elle. Elena's Aria respire la recherche du créateur et le doute qui émerge à mesure que s'estompe l'énergie débordante d'assurance des premiers projets. Dans Elena's Aria, Anne Teresa De Keersmaeker rompt avec sa fascination pour la répétitivité, lâche le rythme et l'énergie et opte pour de longs moments de silence et pour divers extraits musicaux ou vocaux qui ne soutiennent les mouvements qu'en toile de fond. L'aspect « spectaculaire)) de l'unisson disparait, a l'exception de la coda. La cote introvertie, pas directement visible, mais quand même tangible constitue l'essence de ce spectacle. Il y a tant de choses inexprimables a exprimer que l'on cherche d'autres moyens d'expression que la danse ou la musique. Dans ce spectacle, Anne Teresa De Keersmaeker intègre pour la première fois du texte et des images filmées. Elle fait un usage réserve de la parole, qui véhicule d'emblée tant de significations. Il y a littéralement un petit coin de lecture sur la scène, avec un fauteuil et un lampadaire, ou se retire systématiquement l'une des danseuses pour lire un texte à voix haute. Sur le plan spatial, la structure d' Elena's Aria est plus sinueuse que les pièces précédentes, bien que le cercle (trace a la craie) et la ligne (la rangée de chaises) réapparaissent. Fase se compose de trois duos « linéaires)) et d 'un solo dans lequel la ligne, la diagonale et le cercle se conjuguent. Ce solo trouve un écho et son prolongement épuisant dans la quatrième partie de Rosas danst Rosas. Dans le premier mouvement de cette chorégraphie, De Keersmaeker conquiert une fois pour toutes le sol: des lors, son vocabulaire gestuel est indissociable de la chute, du roulement, de l'allongement par terre. Dans les chorégraphies Bartok - le duo Mikrokosmos et le quatuor sur le Quatuor n° 4 -, ces trois formes géométriques de base (la ligne, la diagonale, le cercle) s'entrelacent avec bien plus de virtuosité et de complexité. Dans la structure de base du Quatuor, a savoir la division en cinq chapitres, elles demeurent cependant visibles: le premier et le cinquième chapitre présentent une orientation linéaire frontale, la deuxième et le quatrième partie sont construites autour d'une ligne latérale, tandis que la structure du troisième chapitre est circulaire. Apres Elena's Aria, les chorégraphies Bartok célèbrent les retrouvailles enjouées de la danse et la musique. Le dialogue entre les disciplines est réengagé. Anne Teresa De Keersmaeker: « Par le biais de la danse, j'essaie toujours d'aborder de maniére fort simpliste ce qui me parle dans la musique, ce qui me pousse a danser. Au fond, je tente a travers elle de faire partager au public la beauté, le plaisir et la joie de la musique « .

 

Structure et émotion

Le plus important dénominateur commun des Early Works est la quête simultanée que poursuit Anne Teresa De Keersmaeker de la charge émotionnelle des structures d'une part, et de la structure inhérente aux émotions d'autre part. Les différentes productions de cette première période se situent toutes sur l'axe reliant l'abstraction pure a l'intuition pure. Elles se maintiennent en équilibre précaire. La structure comprend le détour enrichissant qui permet à l'émotion de ne pas se manifester de maniéré explicite. A l'inverse, l'aspect concret des émotions tempère l'abstraction de la structure. Anne Teresa De Keersmaeker: « Structure et émotion se soutiennent. Cela peut paraitre un cliche, mais c'est véritablement inscrit dans mes fibres. La structure et les émotions sont divergentes, mais je suis incapable de les considérer séparément. Les émotions ont toujours constitue un fil conducteur de mes productions, mais d'autre part, il y a toujours une sorte de désir de beauté abstraite, d'un ordre autonome implacable. » Pour ce credo, elle a trouve les premières formes d'expression dans les Early Works: des acquis qu'elle a développes, remis en question et approfondis dans son œuvre ultérieure, puis a nouveau remis en question, développes et approfondis, et ainsi de suite...