Perspectives après P.A.R.T.S. la première génération
L'été dernier, la première fournée d'étudiants des P(erforming). A(rts). R(esearch and). T(raining). S(tudios). sortait des moules de la formation de danse bruxelloise. Cette nouvelle école pour chorégraphes et danseurs a été fondée a l'initiative d'Anne Teresa De Keersmaeker dans le sein de sa propre compagnie Rosas, et patronnée depuis ses débuts par l'opéra de La Monnaie de Bruxelles, dont Rosas est la compagnie en residence. Un sondage des résultats.
Qui a suivi la première série de leçons exploratoires peut constater maintenant avec admiration que l'école a été achevée dans le délai record de quatre ans. Une infrastructure pertinente de batiments a surgi du sol comme un champignon. Quant au curriculum, il a fière allure avec sa kyrielle de précepteurs qui ont dansé dans les compagnies les plus prestigieuses ou acquis leur renommée en tant que chorégraphes et/ou pédagogues. L'ambition de ne pas réduire la formation a la simple technique, mais de prodiguer également une éducation théorique et critique, a été réalisée par l'introduction de nombreuses cours de pédagogie physique, musique, theatre, theorie et histoire. Le propre travail des étudiants est lui aussi un element important de la formation: dans les premières années, il s'agit de présentations privées succédant a des ateliers. En dernière année, les étudiants ont l'occasion de faire une chorégraphie présentée a un public plus large. Le spectacle de theatre Only Now Does He Turn, monté par la première generation d'étudiants au cours d'un atelier dirigé par Jan Ritsema, a vécu sa propre vie publique. C'est aussi cette première generation qui a constitué collectivement la distribution de l'opéra Prometeo de Luigi Nono, que Bob Wilson a mis en scène pour l'Opéra de La Monnaie a Bruxelles.
Une question demeure pourtant: quelles sont les perspectives d'un jeune danseur ou chorégraphe en Europe, une fois ses études terminées? La situation peut difficilement être qualifiée de brillante. Les chances de se produire sont limitées, certainement a Bruxelles qui connaît une concentration étonnamment haute de jeunes danseurs et chorégraphes, comme le prouve la foule de candidats qui se pressent aux auditions. Pierre Droulers en avait vu défiler plus de 200 a l'époque, une audition pour Rosas au printemps de 1997 en a réuni 580. Dans cette compétition impitoyable, les étudiants de P.A.R.T.S. ont pourtant un atout indéniable en plus: a preuve, les nombreux étudiants "kidnappés" par des compagnies par-ci par-là en Europe. De Keersmaeker constatait avec plaisir que les étudiants de "son" école marquaient de si bons points dans les auditions monstres dont nous parlions, qu'elle-même avait choisi trois d'entre eux parmi cette offre gigantesque. Mais Wim Vandekeybus, Jan Fabre, Meg Stuart, Alain Platel et Hush Hush Hush aussi, pour ne parier que des chorégraphes et des compagnies belges, ont fait appel a des étudiants de P.A.R.T.S.
Que cela témoigne de la qualité de l'école en tant qu'organe de formation pour danseurs et interprètes, ne prouve pas pour autant que P.A.R.T.S. soit également un terrain propice a l'éclosion de talents chorégraphiques. En principe, c'est aux étudiants de se profiler dans l'une ou l'autre voie. La generation fraîchement émoulue a ceci de surprenant qu'aucune des jeunes femmes qui en font partie, n'a entrepris de créer une chorégraphie en dernière année: toutes ont préféré collaborer aux créations de leurs collègues masculins, qui eux, montraient sans exception leur propre travail. Cette approche permet pourtant de trouver un ton spécifique et de mesurer l'impact créatif sur un public plus large. Une opportunité non dédaignable pour un chorégraphe debutant, qui doit se frayer un chemin avec, pour uniques outils, une idee et de l'audace.
Les quatre chorégraphies montrées l'été 1998, n'étaient pas d'emblée bouleversantes ou pionnières. Un oeil averti pouvait cependant y déceler une démarche, certes parfois hésitante, mais indéniablement intéressante. D'où la bienveillance dont bénéficient les "chorégraphes" de la première generation fraîchement émoulue de P.A.R.T.S.
"Il se pourrait que ce que l'on attend des étudiants de P.A.R.T.S. soit exagéré" remarque Salvador Sanchis. Ces grands espoirs ne sont toutefois pas uniquement suscités par les quatre chorégraphies, qui n'ont somme toute été vues que par un public relativement restreint. Il en va même du contraire: le fait que l'école ait réussi a intégrer les représentations de ses étudiants dans le circuit artistique normal, prouve que la première génération de P.A.R.T.S. avait déjà éveillé bien des espoirs à l'avance. Cela est sans aucun doute lié a la renommée de la fondatrice de l'école, au fait que la formation reprend en quelque sorte le flambeau de Mudra, l'ancienne école de Maurice Béjart (couveuse d'innombrables et célèbres chorégraphes) et enfin, a l'unicité de la pratique. Il n'existe pas d'autre formation de ce genre en Europe.
L'école applique des critères rigoureux a ses élèves. On y teste le bagage technique de danse de l'aspirant, bien sur, mais aussi sa culture générale: ce qu'il a à dire. Cette selection n'est pas lettre morte, comme le prouvent les chiffres: des plus de trente élèves inscrits en première année, il n'en est resté que huit.
En outre, le programme exige une grande persévérance car il implique un emploi du temps éreintant et un maximum de prestations intellectuelles. Les chargés de cours s'attribuent le monopole de la vérité, sans qu'aucun programme ne précise les matières à enseigner, les compétences acquises en fin de formation ou la façon dont elles s'articulent. La formation part de l'idée que l'élève doit voir de lui-même la relation entre les approches divergentes et que l'étude est un processus créatif basé sur la fréquentation de divers maîtres a penser.
L'école prodigue cependant assistance sur d'autres plans. Ainsi aide-t-elle les étudiants à acquérir des bourses, à se loger, etc. De plus, elle veut soutenir autant que possible les élèves après leur formation. Les tentatives dans ce sens se sont jusqu'ici avérées modestes, en raison du manque de moyens financiers. Les anciens étudiants peuvent gratuitement utiliser des espaces de répétition dans P.A.R.T.S., l'école communiqué des informations sur les auditions et s'efforce en général de procurer un soutien logistique dans la mesure de ses capacités. Pourtant, on caresse des projets plus ambitieux: si une nouvelle salle peut être bâtie dans le complexe de Forest, Rosas aura un plateau de production qui lui permettra de soutenir et de présenter le travail de jeunes chorégraphes (élèves de P.A.R.T.S. et autres).
Quel est le constat à faire maintenant que la première génération à effectivement quitté les bancs de l'école? Quelques mois après avoir terminé leurs études, ils sont en tout cas fort difficiles à joindre: l'un est à Lisbonne, l'autre à Munich, le troisième vient de rentrer cette nuit de Paris. Ce n'est que par l'école que l'on retrouve facilement leurs traces, adresses et activités. Le contact avec les anciens élèves est donc une réalité, d'autant plus que la plupart des étudiants tiennent à conserver Bruxelles comme base d'opérations, du moins pendant un temps. Pourtant, le directeur artistique Theo Van Rompay constate qu'il est parfois plus interessant d'aller travailler dans la "périphérie" de l'épicentre bruxellois de la danse, référant à ce sujet à une ancienne élève polonaise, Kasia Chmielewska, qui a réussi avec succes à monter son propre groupe dans son pays natal.
Les projets et les créneaux auxquels s'intéressent les étudiants prouvent qu'ils ne se sont pas croisé les bras depuis l'obtention de leur diplôme. Les élèves de sexe féminin se sont plus tournées vers la danse, et sont à la recherche d'une compagnie dans laquelle elles peuvent s'intégrer pendant un temps. L'Espagnole Julya Sugranyes a un projet en Espagne, mais participe aussi à la chorégraphie de fin d'année Elea: Spinghein de Arco Renz. Stefanie Bodien participe elle aussi à cette représentation, et a entretemps auditionné auprès de Michèle Anne De Mey et d'autres compagnies. Erna Omarsdottir d'Islande et Riina Saastamoinen de Finlande tournent encore toutes deux avec la représentation de Salvador Sanchis, Less Than a Moment. Toutes deux ont passé diverses auditions et ont été engagées par Jan Fabre pour sa nouvelle production, en remplacement de Renée Copraij. Riina a entretemps obtenu, en Finlande, des subventions pour un projet en solo. Elle a en outre une amorce de projet avec son condisciple Thomas Plischke. Diana Tomsova fait elle aussi des auditions. Susan Hengartner est l'une de ceux qui sont partis voler de leurs propres ailes en dernière année: elle travaille maintenant chez Va Wölfl, mais a participé à l'élaboration de Elea: Spinghein.
Parmi les étudiants masculins, Kosmas Kosmopoulos redouble de zèle. Ses projets et ses plans se partagent entre la Belgique, l'Allemagne (Berlin, où il réside) et la Suisse. En Belgique, il a fondé avec Annabel Schellekens, ancienne élève de P.A.R.T.S., l'asbl Alkyonis Projects. Il a fait avec elle I Want to See You... to Be Seen in Black and White. Il a introduit une demande de subventions auprès de la Communauté flamande, est en contact avec le Vooruit à Gand pour y présenter avec Schellekens sa pièce sous la forme d'un projet multimedia avec une exposition et une video. L'été dernier, il a réalisé en outre une oeuvre pour trois danseurs, Preparing K, au cours d'un atelier dirigé par Rui Horta en Suisse. Les contacts qu'il a eus sur place avec Anna Müller se traduiront éventuellement par une représentation en 1999, et il y a encore ses engagements avec la Denise Lampert Compagnie. Enfin, a Berlin, des pourparlers sont engagés pour montrer des oeuvres avec Dock 11.
Salvador Sanchis n'est pas moins actif. En Belgique, il établit des contacts avec Pagence Kunstwerk de Patrick Sterckx, qui défend maintenant ses intérêts. Une demande de subventions a été introduite auprès de la Communauté flamande pour un projet avec Florence Augendre. Ses tentatives pour jouer sa représentation P.A.R.T.S. Less Than a Moment, lui ont valu d'entrer en contact avec le CC Belem de Lisbonne, où il la chance de pouvoir monter une pièce avec trois jeunes danseurs portugais. Entretemps il a aussi joué un rôle dans un film de Dorothée Van Den Berghe. Pour le moment, Sanchis n'a pas l'intention de retourner dans sa ville natale de Barcelone.
Arco Renz revient régulièrement à Bruxelles et il pourra sans doute lui aussi encore jouer son travail de fin d'études Elea: Spinghein. Madrid et Amsterdam sont des options. Les contacts établis pendant la formation avec Bob Wilson se sont traduits par une invitation à travailler l'été dernier à Watermill, l'atelier de Wilson à Long Island. Ont alors suivi des propositions de Wilson pour participer en sa qualité d'acteur et de danseur à Domus et Death, Destruction & Detroit # 3. De Paris est arrivée une proposition de la Compagnie de L'Alambic de Christian Bourigault pour travailler à une nouvelle création pour 1999.
Thomas Plischke a repris le chemin de sa ville natale, mais revient régulièrement à Bruxelles. Sa représentation Curtain'd with a Cloudy Red a été couronnée au cours du Theaterschool Festival d'Amsterdam par la Philip Morris Scholarship, une bourse de 10.000 florins pour le développement artistique de jeunes artistes. Cette somme a été affectée entre autres à la préparation d'une nouvelle représentation en solo pour fin 1998. Celle-ci est à son tour l'amorce d'un projet plus ambitieux, prévu pour le printemps de 1999, avec cinq danseurs (dont Erna Omarsdottir et Silvya Ubieta de P.A.R.T.S.), un architecte et un compositeur. Ce tourbillon d'activités l'a obligé à refuser en toute dernière minute la proposition d'une petite compagnie brésilienne, l'invitant à faire une chorégraphie spécialement pour elle.
A l'heure qu'il est, la plupart des élèves de P.A.R.T.S. (toutes proportions gardées, la vie d'un jeune artiste n'étant pas un lit de roses) ont le vent en poupe. On peut même dire que certains n'ont que l'embarras du choix. L'école y met un point d'honneur: qui termine ses études chez P.A.R.T.S., doit pouvoir trouver du travail intéressant dans un délai raisonnable. Si l'école parvient à en faire oeuvre durable, elle sera sur ce point encore, unique en son genre en Europe.