Soirée de ballets

A L’Opéra royal flamand d’Anvers

Le Soir 6 Nov 1958French

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L’Opéra royal flamand d’Anvers va-t-il devenir – ou redevenir – un centre d’art chorégraphique ? Dans les dernières années, le ballet y était en déclin. Pour lui rendre quelque lustre, la direction a fait appel à un nouveau maître de ballet et de nombreux artistes de la danse ont été récemment engagés, au premier rang desquels figure Vladimir Brosko, danseur étoile qui s’était fait applaudir, il y a quelques années, à la Monnaie. C’est d’ailleurs de la Monnaie que vient le nouveau contingent qui apporte du sang jeune au ballet anversois.

La troupe ainsi constituée a fait sa première apparition, mardi soir, au cours d’une soirée de ballets qui avait attiré un public exceptionnellement nombreux. Le programme, bien équilibré, avait été conçu comme un acheminement vers de hauts moments esthétiques : partant de Rossini, on est passé par le classique Spectre de la rose pour aboutir au Stravinsky de Pucinella et au Bolero de Ravel. La voie est désormais ouverte pour accéder à des œuvres plus difficiles, telles que Le Mandarin merveilleux de Bartok déjà annoncé.

Symphonie colorée

Sur les ouvertures rossiniennes du Barbier de Séville et de La pie voleuse, le maître de ballet a conçu un ballet chatoyant qui n’a d’autre ambition que de faire évoluer des tutus verts, rouges, jaunes et roses autour d’un diamant noir : Mariette Baes. Dans le domaine du ballet, la musique de Rossini ne se prête plus guère qu’à la parodie, ainsi que l’a bien montré Maurice Béjart dans le ballet-bouffe de La belle au boa, mais elle peut aussi servir à « chauffer une salle ». Comme la peinture la danse se prête à l’abstraction colorée, au jeu des nuances, aux contrastes de tons. Cette Kleurensymfonie était une bonne entrée en matière.

Le « Spectre de la rose »

Tout a été dit du Spectre de la rose qui permet à un danseur étoile d’évoquer la grande ambre de Nijinsky. Aux premières mesures de l’Invitation à la valse de Weber on attend le miracle. La jeune fille (Roza Brent) mime le retour du bal, mais quand Vladimir Brosko apparaît à la fenêtre, c’est la Danse qui entre dans la chambre.

Nous avons rarement vu le Spectre interprété avec tant de souplesse dans les parcours et tant d’intelligence dans la sensibilité. A une technique corporelle impeccable Vladimir Brosko joint des déploiements de bras extrêmement lyriques. Les mains chantent, elles aussi, traduisant le quatrain de Théophile Gautier, et c’est un émerveillement pour les yeux. Vladimir Brosko ne cherche pas à renouveler la prouesse saltatoire de Nijinsky, mais il danse un poème et c’est fort beau.

« Pulcinella »

Le maître de ballet n’a pas cédé à la tentation de présenter un Pulcinella d’une agressive modernité. Il s’est inspiré du style de Massine, lequel a toujours excellé dans la chorégraphie « de caractère ». Ce faisant, le maître de ballet anversois reste d’ailleurs dans la tradition de la commedia dell’arte et c’est le seul climat qui convienne aux thèmes malicieux et juvéniles de Pergolèse.

A côté de Vladimir Brosko qui fut un Pulcinella primesautier et omniprésent, Nicole Karys a donné au rôle de Pimpinella un charme espiègle et attendri. Le couple était entouré d’Antonia Pierre, de Jacqueline Verhaert, de Pierre Pauwels, de Hillel Markman, d’Erik Peter et de Mario Ohn qui rivalisèrent de drôlerie et d’entrain dans cette mascarade à surprises. La partie chantée était assumée par Magda Sauer, Marcel Ost et Chris Van Woerkom.

« Bolero »

La soirée se couronna triomphalement par le Bolero de Ravel. L’oeuvre a tenté maintes fois les choréauteurs : la lente montée d’un envoûtement qui s’achève en frénésie rythmique se prête aux mises en scène les plus diverses. Disons tout de suite que c’est un chef-d’œuvre où abondent les trouvailles et les « bonheurs d’expression ». Telle séquence où les grands châles noirs des danseuses servent d’écrans mobiles puis de dais est d’une puissante architecture scénique.

Après un départ un peu hésitant, cet immortel Bolero s’est achevé en fresque fougueuse et diaprée, avec un brio qui a soulevé l’enthousiasme de la salle. Les deux interprètes principaux, Lydie Brackeleer et Vladimir Brosko, les solistes et le corps de ballet, le maître de ballet et le chef d’orchestre, Walter Cabeels, ont été longuement rappelés. Il faut associer à leur succès le nom de Denis Martin, auteur des décors et des costumes très réussis.

Le nouveau ballet d’Anvers a pris un excellent départ et il faut s’en réjouir pour l’avenir de l’art chorégraphique dans nos provinces.