L’Opéra de Pékin
Sous ce titre, un « ensemble de théâtre de chant et de danses de la République populaire de Chine » commence en Belgique, une tournée de spectacles qui relèvent du genre « variétés ». On doit dire un « Opéra de Pékin » comme si on désignait un opéra-comique ou une comédie-ballet. La danse a peu de part ici : elle intervient, comme au music-hall, entre un sketch mimé et un numéro de virtuosité musicale, parmi les jongleries, les acrobaties, et les évolutions scéniques à l’américaine.
Il y a de tout, dans le programme, et c’est ce qui fait sa force auprès du grand public et sa faiblesse aux yeux des vrais amateurs qui placent l’authenticité au-dessus de la séduction. Au lever du rideau, la Danse des rubans rouges propose aux regards neufs le tournoiement serpentin de banderoles rouges que eussent fait pâlir d’envie Loïe Fuller, car rien n’est plus harmonieux que l’association de ces signes de feu et des costumes verts ou blancs des « joueurs ».
Avec le Don de l’épée , nous entrons au cœur du mimodrame traditionnel avec ses séquences très statiques où alternent le parlé et le chanté. Une technique analogue se retrouve dans le Bracelet de jade où ce bijou est doué d’une sorte de pouvoir magique. Le plaisir des yeux est ici plus vif que celui des oreilles, car les voix aiguës, aux miaulements « de tête », sont moins harmonieuses que le chatoiement des soies brochées, assorties aux laques des accessoires. Nous sommes en plein figuratif, et cependant, faute de saisir la langue et les symboles inintelligibles, nous rejoignons l’art abstrait, celui qui ne trouve sa joie que dans les entrelacs de lignes ou de couleurs.
Les dirigeants de la troupe chinoise ont eu tort d’introduire dans leur programme des intermèdes à l’occidentale. Cette concession au goût européen ou américain altère le style de l’ensemble et accentue redoutablement son caractère « music-hall ».
Un relais tel que le solo de « erhou » (violon à deux cordes) suffit à couper la monotonie d’un programme d’ailleurs bien équilibré, puisque les deux parties se terminent d’une manière très spectaculaire : les combats de la Cité de Setchou (où les bonds élastiques des guerriers n’atteignent pas le tumulte quasi aérien de la Forteresse de Fentanchan inscrit au deuxième programme) et l’hallucinante Danse du dragon où la pyrotechnie et l’invisibilité des acteurs vêtus de noir se conjuguent pour projeter le spectateur dans l’univers fantastique. Sur la scène noyée d’ombre, où un ciel nocturne semble sillonné d’obscures nuées, un dragon de feu se love, se tortille, se coule entre des colonnes, à la poursuite d’une insaisissable boule rouge. L’effet est prodigieux quand un second monstre se glisse et se noue sur la scène, parallèlement au premier.
Est-ce à dire que l’art théâtral de la Chine ne puisse nous parvenir que par le truchement du fantasmagorique ? Du spectacle donné il y a trois ans, nous avions gardé le souvenir de la Rivière de l’automne où un vieux batelier et une jeune passagère composaient une image délicieuse de fraîcheur et de délicatesse. Cette fois, la Danse des lotus, qui semble empruntée à l’ensemble Berezka, provoque des comparaisons désavantageuses.
Ce qu’il faut admirer sans réserve, c’est le sens décoratif qui se dépolie dans le théâtre chinois, aussi bien dans les épisodes saltatoires que dans la minutieuse pantomime. La valeur plastique prend la primauté en l’absence d’une impossible connivence.
Le succès de la première soirée fut total. La reine Elisabeth était présente. Après s’être associée à l’hommage rendu aux acteurs chinois, elle fut, elle–même, l’objet des applaudissements d’un public enthousiaste.