Margot Fonteyn triomphe dans la ‘Belle au bois dormant’
Est-ce parce que le Royal Ballet britannique se trouvait plus à l’aise sur le plateau de la Monnaie, dans un cadre qui convient mieux à un grand ballet du XIXme siècle ? La représentation qu’il a donnée, mercredi soir, avait plus de raisons d’enthousiasmer les choréphiles ; ceux-ci ont pu admirer à loisir ce que peut réaliser une compagnie de haute classe lorsqu’il lui est permis de déployer l’éventail de son savoir et de ses pouvoirs.
Au programme était inscrite la version intégrale de la Belle au bois dormant, et la vedette était assumée par la «prima ballerina assoluta» : Margot Fonteyn. Seule une troupe de l’envergure du ballet national anglais est capable d’aborder aujourd’hui la reconstitution plénière de l’œuvre que Tchaïkovsky a tirée du célèbre conte de Perrault. Seuls aussi des danseurs rompus à la discipline académique sont aptes à en donner une interprétation de la qualité de celle que nous venons d’applaudir.
On pourra gloser sur l’opportunité de ces résurrections. Sur l’intérêt que prend à la virtuosité un public dont le goût est faussé par le cinéma et la télévision. Il se trouvera toujours – il faut l’espérer – une élite pour apprécier comme hier soir l’art très pur d’une Margot Fonteyn, dans l’adage de la Rose, et l’élégante ordonnance des ensembles où triomphent les danseurs britanniques : le pas de sept des dames d’honneur et des pages, les entrées des fées, la valse du premier acte, la partie de colin-maillard, le menuet princier et ducal, les mazurkas en farandole et en défilé. Ce furent autant d’occasions de s’émerveiller. Les Anglais sont à leur affaire dans les déploiements somptueux, dans les cortèges royaux où la lourdeur des couronnes shakespeariennes ne les gêne aucunement. Ils ont le goût du tableau vivant, de la féerie un peu naïve et du cérémonial à grand renfort de figurants. La Belle au bois dormant leur ouvre la forêt enchantée des symboles et des rêves anciens, et ils parviennent à nous entraîner dans le cercle magique.
Il est vrai qu’ils sont menés par une fée prestigieuse : Margot Fonteyn joint à une souplesse physique étonnamment ductile, une science accomplie de la syntaxe chorégraphique. Elle s’applique à ne jamais être en défaut et à sourire à la difficulté. A ce point de perfection, l’art rejoint ce génie dont on a dit qu’il est une longue patience.
Nous dirons ailleurs les faiblesses de l’interprétation masculine et ses causes. Aujourd’hui, bornons-nous à saluer une éclatante réussite et à tenir pour un jour faste celui où Margot Fonteyn fut, pendant deux heures, la princesse Aurore.